Appassionata dans Le Devoir

Prokofiev à la rencontre des enfants défavorisés

Un article de Lisa-Marie Gervais
Le Devoir (parution 27 décembre 2013)

crédit : Nicolas Hoang

”Quelques jolies notes de flûte traversière retentissent dans le local qui regroupe des classes de 3e et 4e années de l’école de la Petite-Bourgogne, dans le Sud-Ouest de Montréal. Aussitôt, le chahut laisse place à un silence d’émerveillement qui ne laisse filtrer que les notes aiguës et feutrées de l’instrument argenté. Josée Poirier, flûtiste pigiste depuis une vingtaine d’années et 2e flûte dans l’orchestre des Grands Ballets canadiens — oui, c’est elle qui joue dans Casse-Noisette ! — rit en son for intérieur. « Jouer quelques notes, ça ramène instantanément le silence », expliquera-t-elle plus tard.

Son acolyte, Guy Beausoleil, comédien et chargé de cours en théâtre à l’UQAM, a lui aussi son petit truc pour faire taire les élèves turbulents : il se met à parler en russe. Il faut voir, ce matin-là, les mines ahuries des élèves de l’école de la Petite-Bourgogne en entendant les mots« dedushka » (grand-père), « Petya » (Pierre) et « volk » (loup). « C’est une bonne façon de les accrocher », croit M. Beausoleil, également excellent en dessin, un talent dont il se sert pour épater la galerie. Le russe est, bien sûr, fort à propos pour présenter la célèbre oeuvre de Sergueï Prokofiev, Pierre et le loup.

crédit : Nicolas Hoang


En tournée

Tout l’automne, pour le compte de l’orchestre de musique de chambre Appassionata, le duo a fait la tournée des écoles les plus défavorisées de la Commission scolaire de Montréal : 41 ateliers donnés dans 18 écoles à plus de 1500 enfants, le tout culminant dans un grand concert sur ce conte musical joué peu de temps avant Noël par les musiciens de l’ensemble.

Présentant divers instruments associés aux personnages (Pierre est représenté par un quatuor à cordes, le loup par des cors, etc.), l’oeuvre de Prokofiev est idéale pour faire découvrir la musique classique aux enfants. « Je pense qu’ils en retiennent le côté ludique et amusant. On n’a pas besoin de se tenir le corps raide et les oreilles molles pour écouter de la musique classique. Cette musique a des connotations rébarbatives, mais les enfants se rendent vite compte que c’est facile à écouter », avance Guy Beausoleil.

Selon lui, le contact sans intermédiaire avec l’instrument, avec sa forme et son son, est parfois miraculeux en lui-même. « C’est important, l’absence de médiatisation. C’est une de mes grandes préoccupations et c’est peut-être pour ça que je fais du théâtre. Les élèves ont rarement un contact immédiat avec un musicien. C’est irremplaçable, souligne-t-il. Ils voient qu’il y a un être humain qui peut jouer d’un instrument et se disent qu’ils pourraient le faire aussi. »

Josée Poirier appuie sur une touche du lecteur de CD, qui laisse aussitôt échapper quelques notes de basson, instrument du vieux grand-père de Pierre. « Quel est cet instrument ? », demande la musicienne. « De la guitare ! », crie un gamin. « Une trompette ! », crie un autre.« Non, c’est du violon », tranche une fillette. Pour ces enfants issus d’un milieu défavorisé, la musique n’est pas toujours une priorité à la maison. C’est souvent un luxe que peu d’entre eux peuvent se payer.

crédit : Nicolas Hoang

Milieux défavorisés

Selon les données les plus récentes sur l’indice de défavorisation des écoles, l’école de la Petite-Bourgogne est 6e au Québec dans ce triste palmarès, soit un peu mieux qu’en 2011, alors qu’elle occupait le 4e rang. N’empêche. Nombreux sont les défis à relever dans cet établissement de 420 élèves provenant d’une vingtaine de pays différents.

« On le sait que c’est important d’aller dans ces milieux-là, car c’est peut-être le premier et le seul contact que les élèves peuvent avoir avec la musique classique », reconnaît Josée Poirier, qui enseigne la flûte à l’école secondaire et qui a fréquenté l’école publique Le Plateau. « Mais les enfants, eux, ne savent pas qu’ils viennent d’un milieu moins nanti et ils sont superouverts. C’est un très beau public. »

« La première année [du projet], on s’était fait dire que ce serait très difficile. Alors, on s’était retroussé les manches et préparé psychologiquement en conséquence, renchérit Guy Beausoleil. Mais, d’école en école, on était émerveillé et eux aussi. On s’est bien demandé ce que tout le monde avait à vouloir nous assombrir le portrait. »

À les entendre parler, les deux complices ont un plaisir évident à côtoyer ces enfants qui tantôt les émeuvent, tantôt les font éclater de rire. Guy Beausoleil se souvient d’avoir demandé à un groupe quel était le contraire d’une symphonie. « Catastrophonie ! », a répondu un gamin à l’esprit particulièrement vif. « J’avais montré une photo avec un chef d’orchestre qui tournait le dos au public pour être face à ses musiciens. Un enfant m’avait dit : “ C’est un tournedos ! ” J’étais ravi et tellement touché par ça. »”

plus de photos

entrevue avec les animateurs

source : http://www.ledevoir.com/societe/education/396065/prokofiev-a-la-rencontre-des-enfants-defavorises

 

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One Response to “Appassionata dans Le Devoir”

  1. Yves 10 janvier 2014 at 10 h 06 min #

    C’est génial cette initiative de faire découvrir la musique classique aux enfants, à travers un spectacle ludique. Même si les autres genres du musique sont plus populaires et plus appréciés par les jeunes en ce moment, ce n’est pas une raison de les mettre à l’écart de la musique classique. Au contraire, c’est une démarche salutaire.

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